Donald Byrd - Places And Spaces
Posté : 24 nov. 2011 00:07
LADIES AND GENTLEMEN : EMBARQUEMENT IMMEDIAT POUR LA SOUL
Donald Byrd – Places And Spaces (Blue Note – BN-LA549-G, 1975)
Titres
A1 Change (Makes You Want To Hustle) 5:07
A2 Wind Parade 4:32
A3 Dominoes 4:32
B1 Places And Spaces 6:16
B2 You And Music 5:18
B3 Night Whistler 3:40
B4 Just My Imagination 4:36
Crédits
Donald Byrd : trompette, flugelhorn, chant
Kay Haith : chœurs
Fonce Mizell : chœurs
Larry Mizell : chœurs
Fonce Mizell : clavinet, trompette
King Errison : congas
Mayuto Correa : congas, percussions
Harvey Mason : batterie
Chuck Rainey : basse électrique (Fender)
Skip Scarborough : piano électrique [Fender Rhodes]
Craig McMullen : guitare
John Rowin : guitare
Larry Mizell : piano
Tyree Glenn, Jr. : saxophone ténor
George Bohanon : trombone
Raymond Brown : trompette
James Carter : sifflets
Arrangements : Larry Mizell
Arrangements de cordes, chef d'orchestre : Wade Marcus
Producteur : Larry Mizell & Fonce Mizell
Guest stars :
Bruit Blanc
Prologue : l'invitation.
Le téléphone sonna.
- "Salut Don, c'est les frères Mizell"
- "Oui" répondit du bout des lèvres Donaldson Toussaint L'Ouverture Byrd II.
- "Ecoute, Don, on a un truc extraordinaire, un projet complétement fou, on a rencontré un mec, pote de l'architecte Eero Saarinem, qui, tiens toi bien, veut libérer les humains de leurs servitudes et tout le pataquès, en mettant de la p'tain bonne musique populaire dans tous les aéroports"
- "De la musique d'ascenseur, vous connaissez mon goût pour ce genre de soupe"
- "Pas du tout, y veut pas mettre de la soupe complètement lénifiante, au contraire, et c'est ça le truc, y veut du groove, de la joie et de la danse, comme dans la vraie vie... Il veut ré-humaniser les aéroports qu'il dit"
- "Et nous dans tout ça ?"
- "Et Don t'as rien compris ?! On va composer la plus belle des musiques qui sera diffusée dans tous les aéroports, sur toute la terre, et au même moment, t'imagines la tête de Dieu, au-dessus de nous, qui va écouter les esgourdes grandes ouvertes, y va être aux anges pardi..."
- "Je répète, qu'est ce que je fais dans tout ça ?"
- "Mais, Don, c'est ton disque, c'est toi le soliste, on a sacrément besoin de toi, car c'est toi le meilleur ! t'as bien la meilleure vente de disques chez Blue Note n'est ce pas ?"
- "Ok d'ac et..."
- "Pour le reste, t'en fais pas, les frères Mizell s'occupent de tout, on a déjà tout composé, tout arrangé, ça va être grandiose, on tient le jackpot et on va libérer les hommes, tu vois, Peace And Love, ce que les hippies ont raté, on va le faire ! Don, tu vas épater ton vieux pote de Charlie Haden et son foutu groupe "Liberation Music orchestra", à coté de nous sa musique n'est qu'une musique de salon bourgeois car nous on va tout éclater !". S'ensuivit un silence pesant...
- "On attend plus que toi, Don, alors Ok ?"
- "Ok et tchao les frangins !"
Donald Byrd raccrocha.
Toujours les mêmes ces frères Mizell ! Ils bousculent tout sur leur passage, des projets à foison, des vrais stakhanovistes !! Comment font ils pour durer ? Je les connais depuis 1972 avec l'album "Black Byrd" et depuis ça n'a pas arrêté. J'ai vraiment peur pour eux que la rivière, d'un coup, ne se tarisse, qu'ils se vident de leur sang pour ne laisser qu'un ectoplasme vide, qu'un lit de pierres sec.
Don ne croyait pas si bien dire, les frères Mizell eurent leur apogée dans les années 74/75 pour décliner lentement les années suivantes jusqu'à finir agonisants, morts musicalement, au couchant des années 70.
Quant à Don, incorrigible optimiste, il ne pouvait se résigner à mourir sans avoir passer le témoin auprès d'héritiers, principalement les élèves de son école de musique. Il voulait à tout prix enraciner son savoir, sa vision de la musique le plus profondément dans la terre, sentir la sève remonter le long du chêne majestueux qu'il pensait, secrètement, devenir après sa mort.
Donaldson Toussaint L'ouverture Byrd II ( et non Jr) sourit à cette idée.
Les rencontres multiples.
Un jour de l'année 1975, en plein mitan des années sauvages, le Détective Privé R. se précipita au Terminal 5 de l'aéroport international John-F.-Kennedy, courut comme un dératé, fendant en contre sens la foule informe et massive, la peur de rater sa destination qui se trouvait être cette fois ci Tel Aviv, lieu mythique et terminus de son enquête où les agents du Mossad côtoyaient les terroristes de l'attentat de Munich dans une même farandole.
Par chance, le départ du vol fut retardé de 45 minutes.
Très essoufflé, le mouchoir trempé servant à éponger son front dégarni, il s'assit en s'excusant au coté d'un groupe aux origines diverses qui manifestement se connaissaient entre eux : il y avait là un sud-américain jovial, des européens livides et quelques arabes mutiques.
La musique démarra, tonitruante, sur un volume sonore à réveiller les morts.
Les sons de "Change (Makes You To Hustle)" explosent de partout : les cuivres de foire pétaradent, les voix appellent à la révolte, les violons nerveux ferraillent à qui mieux mieux, les sifflets de l'ordre transpercent les applaudissements, les hourras et les cris. Au-dessus de cette fête de sons se faufile la trompette qui, impériale, donne le fil rouge à ce groove du diable.
Tout de suite, dans le hall, on remarqua un changement d'expressions chez tous les gens, les tensions tombèrent et les sourires apparurent...
"Wind Parade" acheva le travail de séduction.
Les triangles, le pincement des cordes de piano offrent l'une des plus belles ouvertures qui soient lorsque le clavinet tout en grâce chaloupée pousse la mélodie volage, les violons traversent les halls froids comme des vents fins et l'âme finit par s'égarer au contact des voix câlines.
La mélodie est tellement forte qu'elle nous pousse, comme des Panurge, irrésistiblement vers les précipices abrupts, heureusement que la trompette telle un chien de troupeau nous ramène dans le droit chemin et entonne son refrain comme celle de Jéricho.
Le groove rendit les regards amoureux, la foule devint des danseurs aux gestes séraphins, les mains se touchèrent...
- "La journée s'annonce belle " chantonna Ilich Ramírez Sánchez dans son costume trois pièces à rayures violettes, ses lunettes noires, et la moustache fine trônant sur des lèvres boudeuses.
- "Vous êtes d'accord...? Vous aimez ?"
- "Pardon ! Que dois je aimer ?" répliqua R.
- "Mais la musique, la musique bon dieu ! C'est vrai que je ne la trouve pas forcément très révolutionnaire, alors que le Blues vous savez a toujours été le moyen d'expression du prolétariat noir d'origine rurale, et que la Soul représente plutôt les nouvelles classes moyennes urbaines. Quant au Funk, saviez vous que le FUNK, et oui, a été le mouvement de libération des forces rebelles au Cambodge (Front Uni National du Kampuchéa) qui a renversé l'impérialisme américain avant que mon pote Pol Pot prenne définitivement le pouvoir à Phnom Penh il y a tout juste quelques semaines"
- "Enchanté"
- "Vous ne diriez pas la même chose si vous le connaissiez ha ha " Il alluma un autre cigarillo, se leva et étira ses bras "Je me sens superbement bien et c'est sûrement à cause de cette musique, mais attention je suis et resterai un vrai révolutionnaire même si j'ai quelques passades, comment dire, que je qualifierais de capitalistes, mes péchés mignons je l'avoue " Il parla plus doucement. "Les cigares et les jeunes femmes ha ha ! ".
- "Arrête tes conneries, Carlos, concentre toi plutôt sur ce que tu dois faire" aboya Magdanela la jeune fille allemande aux cheveux bruns bouclés et aux yeux incendiaires. Magdanela Kopp, vraisemblablement l'égérie du groupe, était la seule à détester l'ambiance, pour cause elle ne jurait que par la musique des Stooges et leurs brûlots furioso, au contraire de son compatriote Johaness à la tignasse blonde filasse et toujours hébété qui ne se plaisait que noyé dans les longues et vastes nappes de synthés sorties des albums de Klaus Schulze. Quel contraste !
- "Notre avion pour Orly va décoller, au revoir l'ami et, entre nous, je pense que vous allez entendre prochainement parler de nous, qui sait ha ha !"
Carlos mit son chapeau texan et lui et sa bande partirent avec leurs nombreux et drôles de bagages qu'ils trainaient derrière eux comme des casseroles pendant que le groove "Dominoes" commençait à résonner à travers le hall, la basse caoutchouteuse accompagnée de soli de trompette. Les voix mâles et mielleuses emplirent de leur suavité l'espace au dessus d'eux, et à l'apparition du refrain enchanteur, on les vit déambuler, chacun dans sa posture, à la queue leu leu comme les 7 nains derrière la sorcière énervée qui fusillait du regard le costume à rayures violettes, à la démarche chaloupée et au cigare virevoltant, qui se dirigeait, plein d'allant, vers la sortie.
Le Détective R. les suivit du regard jusqu'à ne plus apercevoir que le bout du cigare rougeoyant qui lui renvoya au cerveau l'image d'une allumette prête à craquer. Danger.
Au moment même où l'avion décolla, les premières notes de "Places and Spaces", s'envolèrent conduites par des violons plus légers que l'air. "Quelle belle courbe, une asymptote qui frise la liberté ! " se dit R.
Les moteurs pétaradèrent, le groove se fit plus lourd, les tourbillons soulevèrent l'appareil tandis que les trombones et autres cuivres le firent tanguer, mais tel un phénix, dans un geste désespéré, l'avion, léger comme une paille, pénétra dans l'air et reparti vers les hautes sphères noyées dans un bleu infini et proches du soleil ébloui.
Après avoir ressenti l'extase, les gens pétrifiés par une telle magie, retrouvèrent leurs occupations dans le Hall sur le groove "You And Music" qui remit les esprits en place, les têtes se relevèrent...
Quant à R. il se rassit épuisé de plaisir, et sa pensée, à l'écoute des chœurs friandises, fit l'école buissonnière et fugua à travers les bois ombrageux de son inconscient.
L'ambiance devint soudainement inquiétante avec "Night Whistler" : des hurlements obscènes sur un beat grinçant, un vaudou moite et marécageux où les mangroves trainent leurs ombres et la lumière est interdite. Une hallucination à travers laquelle on entendit le bruit vrombissant d'un engin fonçant tout droit vers l'aéroport, et on aperçut vite, l'image devenant plus claire, que c'était un homme, chapeau texan sur la tête et moustache fine, chevauchant une énorme bombe taguée de couleurs criardes qui venait d'être larguée d'un B-52 comme dans le film "Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb" et dont le hurlement arriva à nos oreilles comme un cauchemar vivant.
Il se réveilla en sursaut. "Just My Imagination" le rassura. "Ah ce sont les Temptations, quel bon groupe c'était !" et de nouveau R. rêvassa, se laissant guider par cette trompette rivalisant de sensualité avec les chœurs, les violons déployant leurs plus beaux ramages, les notes souveraines du piano... Et apparut en arrière scène la petite plage au sable fin de "Shlomo Lahat" à Tel AViv, au climat doucereux loin des kalashnikovs et autres bombes.
Petit à petit sa tête dodelina puis se pencha sur son épaule, le sourire aux lèvres.
- "Ladies and Gentlemen, Embarquement immédiat pour Tel Aviv"...
Epilogue triste
Le jour de la mort d'Alphonso Fonze Mizell, le 5 juillet 2011, tous les aéroports, en hommage à sa mémoire, respectèrent les contrats signés et paraphés trente six ans plus tôt, et offrirent aux centaines de milliers de clients sidérés quelques minutes de silence pesant : plus de musique, rien que du bruit blanc, assourdissant et abrutissant : c'était quasiment inhumain.
On raconta que ce bruit blanc s'éleva dans les airs tel un nuage cotonneux et par la même occasion les fréquences des satellites furent brouillées quelques temps. On raconta que ce bruit blanc couvrit l'ensemble
de la terre et Dieu fut dans l'obligation de mettre des boules Quiès.
Note : 6 stars / 6
(Chef d’œuvre absolu)
Extraits :
Change (Makes You Want To Hustle) :
Wind Parade :
Dominoes :
Places And Spaces :
You And Music :
Night Whistler :
Just My Imagination :
(Hommage à Fonze Mizell là)
Donald Byrd – Places And Spaces (Blue Note – BN-LA549-G, 1975)
Titres
A1 Change (Makes You Want To Hustle) 5:07
A2 Wind Parade 4:32
A3 Dominoes 4:32
B1 Places And Spaces 6:16
B2 You And Music 5:18
B3 Night Whistler 3:40
B4 Just My Imagination 4:36
Crédits
Donald Byrd : trompette, flugelhorn, chant
Kay Haith : chœurs
Fonce Mizell : chœurs
Larry Mizell : chœurs
Fonce Mizell : clavinet, trompette
King Errison : congas
Mayuto Correa : congas, percussions
Harvey Mason : batterie
Chuck Rainey : basse électrique (Fender)
Skip Scarborough : piano électrique [Fender Rhodes]
Craig McMullen : guitare
John Rowin : guitare
Larry Mizell : piano
Tyree Glenn, Jr. : saxophone ténor
George Bohanon : trombone
Raymond Brown : trompette
James Carter : sifflets
Arrangements : Larry Mizell
Arrangements de cordes, chef d'orchestre : Wade Marcus
Producteur : Larry Mizell & Fonce Mizell
Guest stars :
Bruit Blanc
Prologue : l'invitation.
Le téléphone sonna.
- "Salut Don, c'est les frères Mizell"
- "Oui" répondit du bout des lèvres Donaldson Toussaint L'Ouverture Byrd II.
- "Ecoute, Don, on a un truc extraordinaire, un projet complétement fou, on a rencontré un mec, pote de l'architecte Eero Saarinem, qui, tiens toi bien, veut libérer les humains de leurs servitudes et tout le pataquès, en mettant de la p'tain bonne musique populaire dans tous les aéroports"
- "De la musique d'ascenseur, vous connaissez mon goût pour ce genre de soupe"
- "Pas du tout, y veut pas mettre de la soupe complètement lénifiante, au contraire, et c'est ça le truc, y veut du groove, de la joie et de la danse, comme dans la vraie vie... Il veut ré-humaniser les aéroports qu'il dit"
- "Et nous dans tout ça ?"
- "Et Don t'as rien compris ?! On va composer la plus belle des musiques qui sera diffusée dans tous les aéroports, sur toute la terre, et au même moment, t'imagines la tête de Dieu, au-dessus de nous, qui va écouter les esgourdes grandes ouvertes, y va être aux anges pardi..."
- "Je répète, qu'est ce que je fais dans tout ça ?"
- "Mais, Don, c'est ton disque, c'est toi le soliste, on a sacrément besoin de toi, car c'est toi le meilleur ! t'as bien la meilleure vente de disques chez Blue Note n'est ce pas ?"
- "Ok d'ac et..."
- "Pour le reste, t'en fais pas, les frères Mizell s'occupent de tout, on a déjà tout composé, tout arrangé, ça va être grandiose, on tient le jackpot et on va libérer les hommes, tu vois, Peace And Love, ce que les hippies ont raté, on va le faire ! Don, tu vas épater ton vieux pote de Charlie Haden et son foutu groupe "Liberation Music orchestra", à coté de nous sa musique n'est qu'une musique de salon bourgeois car nous on va tout éclater !". S'ensuivit un silence pesant...
- "On attend plus que toi, Don, alors Ok ?"
- "Ok et tchao les frangins !"
Donald Byrd raccrocha.
Toujours les mêmes ces frères Mizell ! Ils bousculent tout sur leur passage, des projets à foison, des vrais stakhanovistes !! Comment font ils pour durer ? Je les connais depuis 1972 avec l'album "Black Byrd" et depuis ça n'a pas arrêté. J'ai vraiment peur pour eux que la rivière, d'un coup, ne se tarisse, qu'ils se vident de leur sang pour ne laisser qu'un ectoplasme vide, qu'un lit de pierres sec.
Don ne croyait pas si bien dire, les frères Mizell eurent leur apogée dans les années 74/75 pour décliner lentement les années suivantes jusqu'à finir agonisants, morts musicalement, au couchant des années 70.
Quant à Don, incorrigible optimiste, il ne pouvait se résigner à mourir sans avoir passer le témoin auprès d'héritiers, principalement les élèves de son école de musique. Il voulait à tout prix enraciner son savoir, sa vision de la musique le plus profondément dans la terre, sentir la sève remonter le long du chêne majestueux qu'il pensait, secrètement, devenir après sa mort.
Donaldson Toussaint L'ouverture Byrd II ( et non Jr) sourit à cette idée.
Les rencontres multiples.
Un jour de l'année 1975, en plein mitan des années sauvages, le Détective Privé R. se précipita au Terminal 5 de l'aéroport international John-F.-Kennedy, courut comme un dératé, fendant en contre sens la foule informe et massive, la peur de rater sa destination qui se trouvait être cette fois ci Tel Aviv, lieu mythique et terminus de son enquête où les agents du Mossad côtoyaient les terroristes de l'attentat de Munich dans une même farandole.
Par chance, le départ du vol fut retardé de 45 minutes.
Très essoufflé, le mouchoir trempé servant à éponger son front dégarni, il s'assit en s'excusant au coté d'un groupe aux origines diverses qui manifestement se connaissaient entre eux : il y avait là un sud-américain jovial, des européens livides et quelques arabes mutiques.
La musique démarra, tonitruante, sur un volume sonore à réveiller les morts.
Les sons de "Change (Makes You To Hustle)" explosent de partout : les cuivres de foire pétaradent, les voix appellent à la révolte, les violons nerveux ferraillent à qui mieux mieux, les sifflets de l'ordre transpercent les applaudissements, les hourras et les cris. Au-dessus de cette fête de sons se faufile la trompette qui, impériale, donne le fil rouge à ce groove du diable.
Tout de suite, dans le hall, on remarqua un changement d'expressions chez tous les gens, les tensions tombèrent et les sourires apparurent...
"Wind Parade" acheva le travail de séduction.
Les triangles, le pincement des cordes de piano offrent l'une des plus belles ouvertures qui soient lorsque le clavinet tout en grâce chaloupée pousse la mélodie volage, les violons traversent les halls froids comme des vents fins et l'âme finit par s'égarer au contact des voix câlines.
La mélodie est tellement forte qu'elle nous pousse, comme des Panurge, irrésistiblement vers les précipices abrupts, heureusement que la trompette telle un chien de troupeau nous ramène dans le droit chemin et entonne son refrain comme celle de Jéricho.
Le groove rendit les regards amoureux, la foule devint des danseurs aux gestes séraphins, les mains se touchèrent...
- "La journée s'annonce belle " chantonna Ilich Ramírez Sánchez dans son costume trois pièces à rayures violettes, ses lunettes noires, et la moustache fine trônant sur des lèvres boudeuses.
- "Vous êtes d'accord...? Vous aimez ?"
- "Pardon ! Que dois je aimer ?" répliqua R.
- "Mais la musique, la musique bon dieu ! C'est vrai que je ne la trouve pas forcément très révolutionnaire, alors que le Blues vous savez a toujours été le moyen d'expression du prolétariat noir d'origine rurale, et que la Soul représente plutôt les nouvelles classes moyennes urbaines. Quant au Funk, saviez vous que le FUNK, et oui, a été le mouvement de libération des forces rebelles au Cambodge (Front Uni National du Kampuchéa) qui a renversé l'impérialisme américain avant que mon pote Pol Pot prenne définitivement le pouvoir à Phnom Penh il y a tout juste quelques semaines"
- "Enchanté"
- "Vous ne diriez pas la même chose si vous le connaissiez ha ha " Il alluma un autre cigarillo, se leva et étira ses bras "Je me sens superbement bien et c'est sûrement à cause de cette musique, mais attention je suis et resterai un vrai révolutionnaire même si j'ai quelques passades, comment dire, que je qualifierais de capitalistes, mes péchés mignons je l'avoue " Il parla plus doucement. "Les cigares et les jeunes femmes ha ha ! ".
- "Arrête tes conneries, Carlos, concentre toi plutôt sur ce que tu dois faire" aboya Magdanela la jeune fille allemande aux cheveux bruns bouclés et aux yeux incendiaires. Magdanela Kopp, vraisemblablement l'égérie du groupe, était la seule à détester l'ambiance, pour cause elle ne jurait que par la musique des Stooges et leurs brûlots furioso, au contraire de son compatriote Johaness à la tignasse blonde filasse et toujours hébété qui ne se plaisait que noyé dans les longues et vastes nappes de synthés sorties des albums de Klaus Schulze. Quel contraste !
- "Notre avion pour Orly va décoller, au revoir l'ami et, entre nous, je pense que vous allez entendre prochainement parler de nous, qui sait ha ha !"
Carlos mit son chapeau texan et lui et sa bande partirent avec leurs nombreux et drôles de bagages qu'ils trainaient derrière eux comme des casseroles pendant que le groove "Dominoes" commençait à résonner à travers le hall, la basse caoutchouteuse accompagnée de soli de trompette. Les voix mâles et mielleuses emplirent de leur suavité l'espace au dessus d'eux, et à l'apparition du refrain enchanteur, on les vit déambuler, chacun dans sa posture, à la queue leu leu comme les 7 nains derrière la sorcière énervée qui fusillait du regard le costume à rayures violettes, à la démarche chaloupée et au cigare virevoltant, qui se dirigeait, plein d'allant, vers la sortie.
Le Détective R. les suivit du regard jusqu'à ne plus apercevoir que le bout du cigare rougeoyant qui lui renvoya au cerveau l'image d'une allumette prête à craquer. Danger.
Au moment même où l'avion décolla, les premières notes de "Places and Spaces", s'envolèrent conduites par des violons plus légers que l'air. "Quelle belle courbe, une asymptote qui frise la liberté ! " se dit R.
Les moteurs pétaradèrent, le groove se fit plus lourd, les tourbillons soulevèrent l'appareil tandis que les trombones et autres cuivres le firent tanguer, mais tel un phénix, dans un geste désespéré, l'avion, léger comme une paille, pénétra dans l'air et reparti vers les hautes sphères noyées dans un bleu infini et proches du soleil ébloui.
Après avoir ressenti l'extase, les gens pétrifiés par une telle magie, retrouvèrent leurs occupations dans le Hall sur le groove "You And Music" qui remit les esprits en place, les têtes se relevèrent...
Quant à R. il se rassit épuisé de plaisir, et sa pensée, à l'écoute des chœurs friandises, fit l'école buissonnière et fugua à travers les bois ombrageux de son inconscient.
L'ambiance devint soudainement inquiétante avec "Night Whistler" : des hurlements obscènes sur un beat grinçant, un vaudou moite et marécageux où les mangroves trainent leurs ombres et la lumière est interdite. Une hallucination à travers laquelle on entendit le bruit vrombissant d'un engin fonçant tout droit vers l'aéroport, et on aperçut vite, l'image devenant plus claire, que c'était un homme, chapeau texan sur la tête et moustache fine, chevauchant une énorme bombe taguée de couleurs criardes qui venait d'être larguée d'un B-52 comme dans le film "Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb" et dont le hurlement arriva à nos oreilles comme un cauchemar vivant.
Il se réveilla en sursaut. "Just My Imagination" le rassura. "Ah ce sont les Temptations, quel bon groupe c'était !" et de nouveau R. rêvassa, se laissant guider par cette trompette rivalisant de sensualité avec les chœurs, les violons déployant leurs plus beaux ramages, les notes souveraines du piano... Et apparut en arrière scène la petite plage au sable fin de "Shlomo Lahat" à Tel AViv, au climat doucereux loin des kalashnikovs et autres bombes.
Petit à petit sa tête dodelina puis se pencha sur son épaule, le sourire aux lèvres.
- "Ladies and Gentlemen, Embarquement immédiat pour Tel Aviv"...
Epilogue triste
Le jour de la mort d'Alphonso Fonze Mizell, le 5 juillet 2011, tous les aéroports, en hommage à sa mémoire, respectèrent les contrats signés et paraphés trente six ans plus tôt, et offrirent aux centaines de milliers de clients sidérés quelques minutes de silence pesant : plus de musique, rien que du bruit blanc, assourdissant et abrutissant : c'était quasiment inhumain.
On raconta que ce bruit blanc s'éleva dans les airs tel un nuage cotonneux et par la même occasion les fréquences des satellites furent brouillées quelques temps. On raconta que ce bruit blanc couvrit l'ensemble
de la terre et Dieu fut dans l'obligation de mettre des boules Quiès.
Note : 6 stars / 6
(Chef d’œuvre absolu)
Extraits :
Change (Makes You Want To Hustle) :
Wind Parade :
Dominoes :
Places And Spaces :
You And Music :
Night Whistler :
Just My Imagination :
(Hommage à Fonze Mizell là)