The Moments - The Best Of The Moments (Stang Records ST-1019, 1973)
Titres
A1 Where Can I Find Her 2:43
A2 The Best Thing For Me 3:58
A3 This Old House 6:02
A4 Don't Let It Get You Down 3:04
A5 Mama I Miss You 2:55
B1 What's Your Name 4:21
B2 Sexy Mama 8:50
B3 I'm Willing 3:47
B4 Can't Help Being In The Mood 3:42
B5 Everybody Walking Together 2:41
Crédits
The Moments : Al Goodman, Harry Ray et Billy Brown
Frankie Prescod : basse
Billie Jones : guitare
Tommy Keith : guitare
Walter Morris : guitare
Yogie Horton : batterie
Craig Derry : congas, tambourine
Nate Edmonds : piano, orgue
Jimmy Ingram : piano, orgue et moog synthétiseur
Arrangements : Sammy Lowe
Mixés par : Al Goodman, Jimmy Ingram, Joe Robinson, Tommy Keith
Production : Al Goodman, Jimmy Ingram, Sammy Lowe, Sylvia Robinson, Tommy Keith
Introduction :
Quand la musique s'arrêta sur les dernières mesures de "Everybody Walking Together", le silence mit longtemps à reprendre son souffle.
Comme si les ondes musicales n'en finissaient pas de se propager telles des fils invisibles à travers cette salle immense où l'obscurité, masse diffuse et opaque, régnait de tout son poids sur quelques individus silencieux réunis autour d'une table oblongue et gigantesque (des reflets argentés clapotaient à sa surface) et dont les silhouettes lourdes et sombres se détachaient à peine de cette peinture nocturne sauf la silhouette jaune canari qui arborait magnifiquement une casquette à paillette disco étincelante et qui, quelques minutes auparavant, s'était mise à bouger à l'écoute de "Sexy Mama", esquissant des mouvements félins comme si une liane se contorsionnait au son d'une flûte magique, et malgré les chuchotements de l'assemblée "Sylvia, Sylvia", mi-craintifs, mi-admiratifs, Sylvia Robinson, les prunelles brillantes sur fond d'ébène, s'abandonna lascive, le déhanchement divin, sur ce rythme qui l'habitait, comme marquée au fer, depuis sa tendre enfance quand dans un cinéma miteux elle eut la révélation à la vue d'un vieux film muet où le noir se confondait par moment avec le blanc, où l'image se trouvait souvent striée comme une peinture de Jason Pollock, mais malgré la vétusté des lieux, l'absence totale de musique - le vieux pianiste noir qui devait jouer quelques mesures de ragtime était grippé ce jour là - la vision saisissante de Betty Blythe dansant dans la Reine de Saba dans un miracle de lumières fut gravée à vie dans sa mémoire.
Les lumières chaudes s'allumèrent, faisant apparaître les visages hébétés et légèrement rougis des pontes de Stang Records au milieu desquels rayonnait le bel ovale à la crinière sauvage de la princesse Sylvia qui, dans sa tenue aux reflets d'or, s'écria :
- "Comment va t-on appeler cet album, dites ?" Les yeux rougis des pontes s'enfoncèrent dans leurs orbites, leurs mines renfrognées ne laissant présager aucun retour, aucun commentaire.
- "Hé guys, réveillez-vous, c'est simple, il va s'a-ppe-ler "The Best Of The Moments", c'est l'évidence même devant un tel chef-d'oeuvre !"
Malheureusement ce soi-disant chef-d'oeuvre de Sweet Soul fut trahi par son titre de pacotille; on ne le retrouva plus que dans les bacs à solde parmi les compils de Prisunic aux pochettes criardes.
Pour preuve il suffit d'aller faire un tour du côté des sites Discogs et All music pour découvrir que ces experts, à la fois hommes de goûts et hommes de lois, le référencent dans la rubrique "compilation" au fin fond de leurs classements, allez jeter un coup d'oeil SVP..., n'empêche on n'aurait plus, quand même, se méfier, ne serait ce qu'à la vue de cette pochette sophistiquée où les visages des trois chanteurs apparaissent dans le cadre d'un tondo vénitien perché dans les hauteurs vertigineuses de la Sweet Soul, inatteignables donc ...
Alors, ouvrons le bal avec Sylvia :
Commençons bien sur par "Sexy Mama", son titre phare de neuf minutes : un soleil de Soul à son Zénith où la voix féline d'Harry Ray lance ses flèches sexy, une bacchanale dionysiaque, une sorte de Satyricon en mode "nightclub", un lupanar décadent où les gitons peinturlurés des orgies romaines seraient remplacés par des elfes en robes paillettes dorées et bottines effilées de cuir noir "ténèbrae".
Puis passons à l'autre opus magnum, aux six minutes de l'orageux "The Old House", quel contraste étonnant !, le jour et la nuit, place à une longue introduction, véritable poème symphonique qui peint la scène comme un paysage romantique de John Constable menacé par un ciel tragique brun-rouge, juste avant les pluies d'orages, surplombant cette frêle et vieille maison toute brinquebalante.
La sublime voix de Billy Brown, fragile et chevrotante, voletant, aérienne, comme les feuilles d'automne sous le son des violons pleureurs ...
Le reste de l'album est un beau camaïeu de ballades "classe" et tragiques aux ornements barocco et de mid-tempos évanescents et surannés.
Au chapitre des ballades nous pouvons citer "The Best Thing For Me": une ballade sur un canapé de diamants, portée par des trompettes bouchées, d'une voix cristalline et des choeurs fondants; quant à "I'm Willing" nous flirtons là le coté tragique, une ballade sérieuse et doucereuse agitée par un bataillon de violons, alors que "Mama I miss You" se présente comme une ode à l'amour filiale où, de nouveau, la voix d' Harry se mue en une coulée d'or dont les reflets évoquent le temps perdu, un flot de sentiments qui se perd dans une rivière sans retour...
"What Your Name" conjugue le tragique et le marivaudage, une sombre histoire taquinée par des trompettes bouchées à la Bacharach et transmuée par une voix si haute et si lyrique que quand elle hurle, solitaire, les guitares vacillent ...
Au chapitre des mid-tempos nous pouvons citer "Don't Let It Get You Down", "Where Can I Find Her" et "Can't Help Being In The Mood", des mid-tempos pleins de minauderies, trois voix, trois chats sur une scène brûlante où l'on peut voir un nightclub avec palmiers, étoiles et lune en carton-pâte, un parterre de rombières revivant une seconde jeunesse grâce aux sons de ces voix angéliques qui flottent dans l'air brûlant...
Et au final "Every Walking Together" où l'on imagine une petite église sise en rase campagne de laquelle des familles noires vêtues entièrement de noir, après la messe, sortent sous un soleil éclatant, encerclées
de champs de mais jaunes à l'infini, elles hument l'air et, le coeur léger, elles sont prêtes à affronter les routes caillouteuses et les dards du soleil pour aller se réfugier à l'ombre des tonnelles où l'alcool et la musique couleront à flots ...
Fin du bal et remercions Sylvia.
Mais j'allais presque oublier de vous dire la chose la plus importante, les trois magiciens aux tours ensorceleurs qui composent The Moments sont :
Albert Willie Goodman dit "Al Goodman", Harry Milton Ray dit "Harry Ray" et William Brown dit "Billy Brown", tous nés la même année, en 1946. Les deux premiers sont morts depuis.
Note : 5.5 stars / 6
Extraits :
Sexy Mama :
Sexy Mama (version Soul Train Live) :
This Old House :
The Best Thing For Me :
Mama I Miss You :
What's Your Name :
I'm Willing :
Where Can I Find Her :
Everybody Walking Together :